Quand j'étais enfant, mon idole avait deux couettes rousses et faisait ce que bon lui semble: rien ne l'arrêtait, rien ne l'empêchait. En lisant les aventures de Fifi Brindacier (puisque bien sûr, c'était elle), je me représentais un monde où les contraintes ne résistaient pas au désir.
Je suis aujourd'hui absolument certaine que cette héroïne m'a permis, en grandissant, de ne jamais me réfugier dans un conformisme quelconque. Fifi Brindacier n'était pas seulement une fillette dégenrée, originale et débrouillarde : elle était avant tout indépendante. A travers ce personnage, l'autrice Astrid Lindgren a su pousser ses lectrices et lecteurs -en toute simplicité- à ne jamais laisser un autre commander ce que nous sommes, ce que nous pensons, ce que nous faisons.
Les trois autrices dont je vais désormais vous parler possèdent cette même liberté. Sans craindre qui que ce soit ni quoique ce soit, elles ont pris le temps de regarder une situation afin d'en faire apparaître les vérités dissimulées. L'humour ne leur manque jamais ; l'intelligence non plus.
Vouloir ? Encore faut-il pouvoir !
Une chambre à soi, Virginia Woolf
Pourquoi y a t il si peu d'autrices dans l'histoire de la littérature ? Voilà la question que se pose Virginia Woolf en 1929. Lassée des réponses méprisantes et grotesques figurant dans les (très nombreux!) livres écrits par des hommes à ce sujet, elle s'empare donc de la question et écrit cet essai, en le nourrissant du contenu de plusieurs de ses conférences. Avec beaucoup d'ironie, mais aussi de finesse et de justesse, l'autrice dissèque le mécanisme sociétal réduisant les femmes au silence. En effet, qui saurait parler par-dessus la voix de celui dont elle dépend ? Au fil des pages, Virginia Woolf dresse la liste des trois besoins indispensables à l'acte d'écriture, et pourtant inaccessibles à la plupart des femmes : de l'argent, du temps, et une chambre à soi. Un ouvrage devenu culte.
Ceux qui sont au-dessus de nous
Désordre, Leslie Kaplan
C'est un tout petit livre d'une cinquantaine de pages, écrit par Leslie Kaplan. Une fiction surréaliste qui dépeint un monde, ou plus exactement une France, étrangement semblable à la notre. C'est bien simple : en ce mois de mars, les gens n'en peuvent plus. La pression est trop forte, les temps trop difficiles, le sentiment d'injustice trop présent. Seulement voilà : au lieu de descendre dans les rues, les voilà qui se mettent à tuer ! Des meurtres, à chaque coin de rue : du patron au haut-fonctionnaire, tout le monde y passe. Et les médias, bien sûr, n'y comprennent pas grand chose... Avec un humour irrésistible et une liberté sans faille, Leslie Kaplan fait basculer notre ras-le-bol général en une folie destructrice. Ce très court livre rappelle efficacement la certitude suivante : les violences proviennent toujours d'en haut, et non d'en bas.
Les mots ne sont pas innocents
Non, le masculin ne l'emporte pas sur le féminin!, Éliane Viennot
Un autre petit livre, déjà évoqué dans un précédent post, écrit cette fois par une historienne : Eliane Viennot. Extrêmement pédagogique, instructif et documenté, cet essai nous raconte comment, au fil du temps, le genre masculin a dominé le langage, mettant à mal le genre féminin qui perdit, par conséquent, la plupart de ses droits. Dans cette évolution, ni accident, ni hasard : les règles de la grammaire française ont bel et bien été changées pour satisfaire les hommes-décideurs. Nous refermons le livre avec la sensation d'enfin connaître la vérité sur la langue que nous usons quotidiennement. La vraie bonne nouvelle ? Il s'agit d'une matière vivante ! La repenser ne sera donc pas la trahir. Bien au contraire, d'ailleurs, comme chacun saura après avoir pris quelques instants pour regarder son véritable passé.