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Jean Katambayi

Entretien avec l'artiste


L'artiste Jean Katambayi vit et travaille à Lubumbashi, en République Démocratique du Congo. Préoccupé par l'avenir de son pays, cet artiste met ses connaissances techniques, électriques, philosophiques et mathématiques au service de ses créations. Recyclant des matériaux délaissés (cartons, fils électriques...), Jean Katambayi invente des machines imaginaires qui tentent de solutionner les problèmes d'énergie, de santé et d'éducation du Congo. Il peut passer des heures à l'élaboration de ses croquis et de ses inventions. A la façon d'un Jules Vernes ou d'un Léonard de Vinci, il fait de l'imaginaire l'arme suprême pour inventer et rêver demain. Il nous ouvre les coulisses de sa création en acceptant de répondre à trois questions, depuis la naissance de ses idées jusqu'à son espoir de brèches futures.


Comment est née cette idée d'une machine à énergie sans fin ?

L'algorithme d'une boucle infinie, située entre un début et une fin, hante la question de l'existence. L'idée de l'énergie sans fin m'est venue de l'envie de contourner la comptabilité permanente du renouvellement des ressources, mais aussi du fantasme de remettre en question l'incontournable loi de rendement dans la transformation des énergies.


Face à l'insurmontable, que peut-on faire ?

Face à l'insurmontable, il n'y a à priori pas beaucoup de solutions. Mais ce qu'il faut faire, c'est négocier avec la marge de probabilité qui s'offre à nous. C'est dans cette marge que l'on peut inventer un infini intrinsèque, susceptible de simuler ou de formaliser des échanges qui ne sont pas normalisés.


En tant qu'artiste, quelle brèche espères-tu créer dans notre réalité ?

En tant qu'artiste, la brèche que j'espère créer dans notre réalité est une sorte de sensibilisation vers une balance optimale de ce système dichotomique qui peut être : référence et performance, nord et sud, blanc-noir ou couleur, riche ou suivant, X ou Y.



L'art de l'énergie éternelle


Son oeuvre Yllux est une machine fictive qu'il a créé dans l'espoir de générer de l'électricité pour tout son village, de façon continue. La machine repose sur la création d'un algorithme parfait qui procurerait un mouvement perpétuel. Une réponse directe au calvaire africain souffrant de déficit en électricité, en eau, bref, en énergie vitale.



En proposant une solution pérenne face aux désastres dont est victime son pays, les créations de Jean Katambayi alertent sur la réalité politique, économique et philosophique de notre monde et incitent, plus largement, chacun d'entre nous au dépassement de ses propres limites. La modestie, l'ingéniosité et la poésie de ces œuvres rappellent l'importance de faire ensemble, tous ensemble, le pas que nous pouvons, vers l'avant.


A chaque fois que nous acquérons quelque chose, nous nous protégeons du vide et de l'angoisse -voisine- de ne pas exister. Nos possessions sont, en quelque sorte, les bouées de nos âmes. Grâce à elles, nous nous sentons plus réel·les, plus construit·es, plus solides. Mais la simple expérience d'un déménagement suffit généralement à révéler la complexe distinction entre ce qui compte et ce qui ne compte pas. Comme l'inutile s'entasse vite, au fil de notre vie !


En s'efforçant de développer une relation plus réfléchie avec nos biens, nous enclenchons une consommation, elle aussi, plus raisonnable. Ainsi, plutôt que de multiplier les boîtes que nous n'ouvrirons jamais ou d'accumuler un tas de choses superflues que nous abandonnerons l'été suivant, nous pouvons apprendre à affiner nos véritables désirs et conclure : avoir ne signifie pas exister. Mais nous parlons, ici, de nos désirs. Or, il demeure un point de convergence indéniable entre notre capacité d'existence et nos possessions : c'est lorsqu'il s'agit de nos besoins, c'est-à-dire ce qui permet à notre vie d'être digne de ce nom. Dans ce cas précis, la notion même de propriété individuelle se dresse en impasse car elle mène, inévitablement, à la séparation et donc, potentiellement, à l'inaccessibilité. Prenons le cas ordinaire d'une personne venant d'acheter un terrain. Que fera cette personne en premier lieu ? Marquer une délimitation de son territoire afin de séparer sa possession de celle de l'autre. C'est l'histoire des communales, ces espaces tels que des chemins ou des étangs, qui, au Moyen-Âge appartenaient à tous les habitants et permettaient une gestion collective, puis qui furent achetés par des propriétaires fortunés, menant à l'appauvrissement de la population rurale. Irrémédiablement, la possession nous divise : celui qui a s'éloigne et éloigne celui qui ne peut avoir. Cette tension est l'expression de notre fracture actuelle. La fracture qui divise notre monde en tout lieux, sur tous les sujets : les droits des uns contre les droits des autres. Les moyens des uns versus ceux des autres. L'injustice ancrée, profonde, transversale et globale entre ceux qui possèdent et ceux qui ne possèdent pas.


Pour se sortir de cette tension, il faut tâcher d'assurer l'accessibilité de ce qui est nécessaire à toutes et tous. Cela signifie repenser en profondeur notre relation aux choses et à l'autre et donc, en tout premier lieu, définir une pensée humaine capable d'être partagée universellement. Car reconnaître l'accessibilité à la dignité en tant que droit, c'est d'abord reconnaître la valeur de chaque humain. J'aime citer le passionnant ouvrage Playdoyer de l'universel de Francis Wolff au sein duquel il explique :


Chacun a intérêt pour lui-même à considérer tout autre comme il se considère lui-même. Un même concept réunit le bien propre (le bonheur), le bien d'autrui et celui de l'humanité.

Selon l'auteur, ce principe de réciprocité et d'égalité entre tous les êtres humains est désirable puisque nous sommes destiné·es à vivre en communauté et que nous avons donc, toutes et tous, intérêt à nous savoir protégé·es et respecté·es de et par l'autre. Et ce qui est merveilleux, c'est qu'en définissant l'égalité humaine non pas à travers des valeurs ou des qualités subjectives, mais tout simplement à travers notre capacité -universelle- à dialoguer, aucune pensée dominatrice ou excluante ne résiste à sa thèse.


Dès lors que nous considérons l'autre comme étant soi, nous ne pouvons plus tolérer que l'air, l'eau, l'électricité ou la nourriture ne viennent à nous manquer. C'est ainsi que peut émerger, dans nos sociétés et dans nos usages, l'art de la mutualisation : mettre en commun nos jardins, nos habitats, nos voitures, mais aussi nos talents et nos savoirs afin que le partage ne soit plus considéré comme une division mais bien comme une multiplication. Il ne s'agit pas d'une utopie : il s'agit d'une voie possible qui, grâce à un travail d'éducation et de communication, peut dessiner un monde plus équitable, plus raisonnée et plus souhaitable. Dès maintenant.




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