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Bertrand Planes


Rencontre avec Bertrand Planes


Bertrand Planes s'intéresse à la lowtech et la façon dont nous pouvons optimiser nos créations poue économiser l'énergie autant que les moyens... Il nous ouvre les coulisses de sa création en acceptant de répondre à trois questions, depuis la naissance de ses idées jusqu'aux espoirs des brèches futures.


Comment est née cette idée d’une horloge de vie ? 

"Comme beaucoup d'autres pièces : il s'agit d'un outil que j'ai d'abord imaginé pour mon propre usage. Je cherchais à vivre l'expérience d'une vie avant de l'avoir totalement vécue. Je me souviens d’échanges avec ma grand-mère. "Si jeunesse savait...". La sagesse d'une vie ne se transmet pas par les mots mais par l’expérience. Ici, ce changement d'échelle appliqué à un objet du quotidien tâche d'alimenter cette expérience."


Le temps qui passe, ça t’obsède ou ça t’aide ?

"Au même titre que les réactions du public devant mon horloge, mon rapport au temps qui passe est très varié. C'est la mort, et c'est la vie tout à la fois. Pourrions-nous vivre si nous étions éternels ? D'une part le concept de vie perdrait son sens et d'autre part nous perdrions certainement cette tension qui nous fait tenir debout. Nous baignons de ce principe, par exemple l'électricité : une tension entre deux pôles, une ampoule c'est un début, une fin et de la lumière entre les deux."


En tant qu’artiste, quelle brèche espères-tu créer dans notre réalité ?

"Créer des brèches comme autant de nouveaux espaces tangibles ou conceptuels me suffit. Je ne connais pas la nature de ce qui se trouve au delà de la brèche mais je sais où elle se trouve en ce moment : entre les chiffres."


Une horloge pour la vie entière


L'œuvre Life Clock de l’artiste Bertrand Planes est une horloge des plus singulières puisqu'elle a été ralentie 61 320 fois afin de battre au rythme d’une vie. Ce n’est donc pas 12 heures, mais 84 ans que la petite aiguille devra parcourir pour faire le tour de son cadran (83,8 ans plus exactement, ce chiffre indiquant la moyenne d'âge la plus optimiste dans le monde au moment de la réalisation de l'oeuvre -à savoir celle des femmes en Scandinavie-).


Life Clock, Bertrand Planes

En confrontant deux temporalités différentes au sein d'un objet fonctionnel et ordinaire, l'artiste nous invite à considérer autrement l’équilibre de notre vie et, plus largement, la valeur que nous lui attribuons. Notre passé n'existant qu'à travers notre mémoire et notre futur à travers notre imaginaire, il ne reste en effet que le présent comme matière concrète, flexible et transformable à l'infini.


En construisant notre existence avec la même attention et la même énergie que celles que nous déployons dans notre gestion du planning quotidien, nous pourrions certainement nous rapprocher -un peu plus- d'objectifs désirables et durables pour l'humble regard que nous porterons un jour sur notre chemin parcouru.



La vie, ce fugace espace


Ah, si les journées duraient plus longtemps ! Combien de tâches abattues, combien de désirs assouvis, combien de projets, de rendez-vous, d'imprévus enfin rendus possibles ! Bien sûr. Si le temps n'était pas tant compté, que de libertés nouvelles. Mais le tic-tac est là, rappelant à chaque seconde la fulgurance de son passage autant que la précarité du notre. Les yeux rivés sur les narquoises aiguilles, nous tâchons, tant que bien mal, d’honorer la préciosité de ce fragile espace qu'est la vie. Redoutant plus que tout son gaspillage, nous comblons les vides potentiels de tâches quantifiables et de fonctions certifiées utiles, accordant un soin particulier à ne surtout, surtout, rien gâcher.


En renforçant le sentiment qu'il n'existe plus d'obstacles tangibles à la qualité de nos performances, les promesses technologiques consolident aussi l'étoffe de notre robuste culpabilité. Connecté·es en temps réel aux quatre coins du monde, nous partageons fichiers et discussions sans avoir à nous déplacer et cumulons applications, logiciels et autres sites pratiques afin d’optimiser chacun de nos instants vécus. Extensions synchronisées de nos machines, nous traitons nos désirs comme des tâches à cocher et glorifions chaque action dont on pourra apprécier la productivité.


Porté·es par le besoin insatiable de rentabiliser notre investissement vital, nous partons en quête d’abattage intensif, dressant des "to do lists" à n’en plus finir et abordant les moments de plaisir avec la même intransigeance que celle appliquée au devoir. Nous nous levons en courant, traversons la journée en énumérant ce qu'il reste encore à faire puis nous nous couchons fatigué·es, regrettant tout ce qui n'a pas encore été accompli… Et nous revoilà transféré·es sur le banc des accusé·es, coupables de ne jamais faire assez. La faute à qui ? Au temps qui presse, bien sûr.


Le poids des regrets


Aucun outil -physique ou virtuel-, aucune organisation ni aucun agenda ne saura nous libérer de la crainte de dilapider notre propre vie, car le problème se niche ailleurs. Derrière le fantasme d'une gestion efficiente de chacune de nos minutes, se pose en réalité la question, non pas du temps, mais du sens. Ne pas gâcher est une chose, mais savoir ce qui vaut la peine d'être vécue en est une autre !


Dans son livre The top five regrets of the dying, l'auteure australienne Bronnie Ware a pris le temps de récolter les regrets de ses patients durant leurs dernières semaines de vie, alors qu'elle exerçait le métier d'infirmière en soins palliatifs. Il est éclairant d'entendre la voix de ceux qui se retournent sur leurs expériences en sachant qu'ils ne pourront plus y rien changer. Nous suivons par exemple le cas de Grâce, octogénaire mariée à un homme tyrannique depuis cinquante ans. Mère d'enfants et grand-mère de petits-enfants aimants, elle avoue avoir mené une vie d'apparence, bien éloigné de ses réels désirs. A quelques jours de son décès, elle confie à Bronnie :


"Ne laissez jamais quelqu'un vous empêcher de faire ce que vous voulez, promettez-le à cette femme mourante, je vous en prie."

Libérée de son mari parti en maison de retraite, Grâce n'eut en effet pas le temps de vivre sa vie rêvée : on lui découvrit une maladie irrémédiable en phase terminale. Ses projections devenues à jamais impossibles, elle déplorera jusqu'au dernier de ses jours de ne pas avoir eu "assez de courage pour respecter son désir." Il s'agit, selon l'expérience de l'autrice, du regret numéro 1 des personnes en soins palliatifs. Elle le formule ainsi :


"Je regrette de ne pas avoir eu le courage de mener une vie en restant fidèle à moi-même, plutôt que la vie que les autres attendaient de moi."

Trêve d'agendas raturés, donc. Oublions un instant nos multiples accomplissements du quotidien telles quelles nos machines en retard, nos papiers à remplir, nos vacances à organiser, nos biberons à préparer ou nos comptes-rendus à finaliser, et prenons le temps de nous poser la vraie, la seule et l'unique question qui vaille : qu'ai-je prévu pour ma vie à venir ?


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