
J'ai l'impression que, gamins, nous n'avions peur de rien. Cela ne nous empêchait pas de rencontrer les échecs, les chutes, les souffrances, mais disons que nous nous jetions dans l'aventure, tête baissée, cœur bien accroché. Même pas peur ! disait-on en dévalant les dangers jusqu'à la chute fatale. Et à peine relevés, déjà nous recommencions vaille que vaille, coûte que coûte. Le soir, nous rentrions, larmes mal séchées et genoux écorchés, et contemplions avec fierté nos cicatrices, nos bleus.. Les empreintes de notre courage.
Ce matin, je regarde mon enfant se préparer pour aller à l'école. Il dépose son masque sur ses petites joues rebondies, en l'attrapant scrupuleusement par les attaches, comme on lui a appris -car c'est bien cela, que nous leur apprenons cette année : tenir un masque, retirer un masque, boire avec un masque, parler avec un masque.
Je le regarde et me demande comment ils pourraient n'avoir peur de rien, ces enfants-là. Je passe en ritournelle nos conversations du soir. Lorsqu'il me demande si Noël sera comme d'habitude. S'il verra ses grands-parents bientôt. Si le "connard-à-virus" comme il s'amuse à l'appeler, peut tuer des gens comme lui, ou bien des gens comme moi. Et moi qui étale ma confiture de réconfort maladroitement, tergiversant sur notre vaillance, sur l'interprétation des chiffres, et puis le vaccin, et puis l'été prochain, et puis bientôt, et puis.. Mais il ne m'écoute plus. Il a mis son cartable sur le dos et il gambade sans me regarder, jusqu'à l'ascenseur.
Dans quelle poche magique les enfants rangent-ils les angoisses ? Comment font-ils pour jouer quoiqu'il se passe, vaille que vaille, coûte que coûte ? Je le regarde sautiller, enjamber la flaque d'eau, exploser de rire quand il m'arrose littéralement et je pourrais le gronder mais je préfère lui dire que ce n'est pas grave, parce que c'est la seule chose que j'aimerais vraiment pouvoir lui répéter en boucle, en ce moment : pas grave le coronavirus, pas grave la planète, pas grave les attentats, tout mettre dans une même phrase, les mots les uns à la suite des autres, sans classement ni intelligence, juste pour lui répéter ces mots : pas grave.
Tout en marchant, j'interroge le monde qui manque d'agitation ; je regarde les rideaux métalliques fermés ou ouverts selon une parfaite incohérence, les files interminables devant les labos, les visages masqués de toute part et tout bas, comme lorsque j'étais gamine et que mes rêves valaient autant mes réalités, je me promets de ne pas céder à la peur. Ni des chutes à venir, ni des échecs, ni des souffrances. Continuer de vivre, d'éprouver, d'espérer. Continuer obstinément d'imaginer, car toutes les plus belles histoires commencent par une belle idée. Tout bas, je me promets de ne jamais laisser la terreur absorber les libertés et, avec elles, les capacités à penser, à dire, à inventer. D'ailleurs, cela me revient d'un coup. Gamine, je n'avais peur de rien, sauf d'une seule chose : l'obscurité.
Pour éclairer d'espoir, d'intelligence et de mise en commun l'étrange période que nous traversons, je n'ai pas de meilleur conseil que de lire Et si... on libérait notre imagination pour créer le futur que nous voulons?, le dernier essai de Rob Hopkins, fondateur du mouvement des "villes en transition", enseignant en permaculture et auteur de nombreux ouvrages pour tenter d'envisager un avenir désirable.. et possible.
La puissance de l'imaginaire
Et si..., Rob Hopkins

Et si... de Rob Hopkins est un livre qui m'a fait du bien, tout simplement. Parce que l'auteur a décidé de regarder l'avenir avec les yeux de celles et ceux qui pensent que nous pouvons encore faire quelque chose. Parce qu'il fait le culte des rêveurs et que je suis certainement plus familière à ces gens-là qu'aux experts des chiffres et de la sériosité (ce mot mériterait d'exister, non?). Parce qu'il nous rappelle que toute action commence par un désir, et que tout effondrement commence par un abandon. Parce qu'il a trouvé la force et le courage de glaner, rassembler, transmettre des idées, des initiatives, des projets, des utopies et d'en faire une merveilleuse matière collective pour fabriquer nos lendemains. Parce qu'en refermant ce livre, on se dit que cette société n'a pas de sens et que nous valons mieux que ça, que nous pouvons mieux que ça et que nous gagnerons toujours (je parle ici de vraies victoires, celles-là qui donnent un sens à notre vie) à avoir essayé, plutôt qu'à s'être découragé. Parce que j'ai confiance dans les générations à venir et que je sais à quel point nous nous devons de les encourager, les applaudir et les soutenir vaille que vaille, coûte que coûte.