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L'inconnu du banc



Je n’ai pas de montre mais je dirais qu’il est au moins deux heures du matin. Je suis toujours allongée sur ce banc. Je n’ai rien fait du tout. Je n’ai pas froid, pas trop. Coup de chance, je me dis. Coup de chance que ça soit un beau soir d’été. Les étoiles étincellent. Je reconnais la Grande Ourse, à moins que ça ne soit la petite. On s’en fout, je me dis. On s’en fout des étoiles, des vocations, des demain. Je veux juste rester là, sur ce banc. Laisser le temps passer et puis ne plus rentrer, ne plus bouger.


C’est en pensant à cela, à ma vie entière à ne rien faire, que je parviens à m’endormir. Le soleil me réveille vers six heures du matin. J’allume une cigarette quand un homme débarque. Il demande, qu’est-ce que tu fais là toute seule ? Je réponds, je sors du travail. Il dit, tu n’as pas l’air d’aller bien. Je lui réponds, vous non plus. Il rigole, oui mais moi ma vie est déjà passée, j’en ai bien profité. Et puis il laisse flotter un silence avant de demander, qu’est-ce qui te rend triste ?


Je réponds, je ne sers à rien. Il soulève les épaules et dit, il faut connaître la valeur de sa vie. Il dit, moi j’ai perdu ma femme et ma fille coup sur coup, tu peux pas imaginer dans quel état j’étais, mais je me suis relevé parce qu’on doit honorer sa chance. Il dit, ta vie est maintenant petite alors profite. Je fais oui de la tête, mais ce que je retiens, c’est que ce type pue la mort. Et que sa poisse est sûrement contagieuse. Alors je m’éloigne. Peut-être que sans lui, je ne me serais peut-être jamais relevée.

 

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